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Entre le Liban multiconfessionnel et la République laïque à la française, il y a un monde.

Ce texte est un simple témoignage s’appuyant sur une vie en deux temps. Commencée au Liban en 1974, six mois avant le début de la guerre dite «civile»qui a ravagé le pays jusqu’en 1990, elle s’est prolongée en France depuis 1990. Il ne s’agit nullement d’une tribune politique pour ou contre tel ou tel caractéristique de tel ou tel pays.

Ce n’est pas l’adjoint du maire de Nantes qui s’exprime, mais un citoyen relatant une expérience, qui n’a rien d’exemplaire, mais qui peut néanmoins intéresser nos contemporains du fait d’hypothétiques convergences et des divergences réelles qui peuvent exister entre ce pays-là à cette époque-là et ce que nous vivons en Europe et en France, aujourd’hui. Une expérience que l’on pourrait résumer par la formule: «du Liban multiconfessionnel à la République laïque».

Le Liban est un État-tampon qui est, par définition, très sensible aux mouvements de la tectonique géopolitique sur laquelle il est situé. Créé en 1920 sur une partie des ruines de l’Empire ottoman, le Liban offre un concentré de tout ce qui se fait au Proche-Orient en termes de diversités religieuses. En effet, on y trouve dix-huit confessions religieuses, et donc autant de communautés dont le rôle est souvent bien plus politique que mystique. Et elles y cohabitent, selon les époques, en plus ou moins bonne entente.

On y trouve des musulmans (sunnites,chiites, druzes) ainsi que des chrétiens de toutes sortes (différentes catégories d’orthodoxes, différentes communautés catholiques ainsi que des protestants, etc.) et des juifs. Leur cohabitation y est tellement délicate que personne n’a jamais osé un recensement officiel depuis les années 1920, de crainte que les résultats n’altèrent le fragile équilibre du pouvoir politique fondé sur un régime communautaire. Dans ce régime communautaire, entre l’indépendance en 1943 et le début de la guerre de 1975-1990, le pouvoir est tenu par les chrétiens maronites. Il sera ensuite tenu, à partir de 1990, principalement par les musulmans sunnites.

Étendu sur un territoire à peine plus grand que la Corse, le Liban est un pays riche en diversité de toutes sortes: les paysages et le climat varient selon que l’on soit sur la côte méditerranéenne, sur les sommets du Mont-Liban ou dans la plaine de la Bekaa. Cette diversité des communautés composant le «tissu» libanais induit une certaine ouverture d’esprit qu’on peut constater auprès d’une large majorité des Libanais. Elle crée aussi une richesse culturelle particulièrement perceptible par l’observateur externe qui n’est pas habitué à autant de différences sur un territoire aussi restreint.

Susciter des troubles communautaires

Mais cette mosaïque communautaire est aussi source d’instabilités. Les événements de 1975-1990 font écho à ceux de 1840-1860, où les affrontements entre musulmans et chrétiens tournent vite aux massacres, avec leurs lots de victimes civiles des deux bords et de plaies béantes difficiles à cicatriser. La guerre de 1975-1990 avait, en plus, une dimension politique forte liée à un déséquilibre entre le poids relatif des communautés dans l’exercice du pouvoir central. Même la dimension géopolitique de cette guerre (rôles des Palestiniens de l’OLP, rôle des Israéliens et surtout rôle des Syriens) s’appuyait sur le socle communautaire.

Il y a en France une capacité à créer du «commun» que je n’avais pas connue dans le Liban des années 1980, qui avait, a contrario, une capacité à créer du «séparatisme»

Sans vouloir alourdir inutilement ce témoignage, notons simplement une chose: du fait du régime communautaire de partage des pouvoirs, l’État central n’a jamais su s’imposer au Liban, laissant ainsi libre cours aux jeux des différentes communautés confessionnelles dans tous les aspects de la vie publique et privée. L’historien, économiste et ancien ministre libanais Georges Corm résume très bien cet état de fait (Afkar n°41, mars 2014):

«Le régime communautaire a […] démontré combien non seulement il consacre la surenchère communautaire et développe artificiellement le fanatisme religieux, mais encourage de plus la corruption des notables, à qui il n’est pas possible de faire rendre des comptes sur leur gestion en tant que hauts responsables de l’État, sous peine de susciter des troubles communautaires.»

Séparation entre les Églises et l’État

Sorti en octobre 1990 d’un tel environnement et immergé dans le contexte français, on ressent tout de suite deux différences majeures qui caractérisent la France. D’abord, et le reste en découle, un État fort, c’est-à-dire ayant une forte capacité d’intervention dans la vie publique. Ensuite, la laïcité, qui établit une séparation nette entre les Églises et l’État, ne laissant donc aucun poids politique à une quelconque communauté confessionnelle.

Cet État fort, c’est ce qu’on appelle, en France, la République. L’idéal républicain est difficile à cerner mais on peut en identifier les principales thématiques: la liberté comme garantie des droits par la loi, la promotion de l’intérêt général par la vertu civique et, son corollaire, la citoyenneté active, la volonté générale comme fruit de la délibération publique, elle-même conditionnée par l’égalité des droits, en particulier dans le domaine de l’éducation. Et Serge Audier (Les théories de la République, La Découverte, 2004) résume:

«La République constitue un espace privilégié de réalisation du bien commun.»

Il y a donc, dans cette France que j’ai appris à connaître au début des années 1990, une capacité à créer du «commun» que je n’avais pas connu dans le Liban des années 1980, qui avait, a contrario, une capacité extraordinaire à créer du«séparatisme». Or, l’une des déclinaisons de ce commun, c’est la laïcité.

Laïcité à la française

Historiquement, la laïcité «à la française» prend forme au travers de la loi de séparation des Églises et de l’État. Ce principe fondateur de la République a permis que se développe sereinement dans notre pays, d’une, la liberté de conscience et, de deux, le libre exercice des cultes tous deux voulus par la loi de 1905.

Philosophiquement, Catherine Kintzler (Penser la laïcité, Minerve, 2013) réduit la laïcité à trois propositions garantissant la liberté religieuse, mais aussi, et plus largement, la liberté de conscience:

  1. Personne n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’une autre;
  2. Personne n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’aucune;
  3. Personne n’est tenu de n’avoir aucune religion.

Et Kintzler de préciser:

«Chacune de ces propositions énonce une liberté et écarte une contrainte émanant de la confusion entre pouvoir politique et pouvoir religieux.»

Nous sommes loin des fantasmes de«libanisation» de la société française qu’un théoricien du déclin comme Zemmour peut parfois «prêcher»pour créer des peurs infondées

L’ensemble des trois propositions offre les garanties nécessaires à une vie commune pacifique, élargissant, de manière très moderne, la liberté religieuse (ceux qui croient, quelle que soit leur foi) à la liberté de conscience (ceux qui croient et ceux qui ne croient pas). On remarquera au passage que cette vie commune pacifique est rompue à chaque fois qu’il y a confusion entre pouvoir politique et autorité religieuse, à chaque fois que la neutralité de l’État est rompue.

Liberté de conscience et de culte

On notera que la liberté de conscience (croire ou ne pas croire) et la liberté de culte (croire et pratiquer ce que l’on souhaite sans contraintes) sont bénéfiques aux agents des deux plans: l’État ne sera pas soumis à l’influence des religions et inversement ces dernières seront libérées de tout risque d’interférences politiques. Or, dans un pays comme le Liban, les religions savent pertinemment que le politique, parce que détenteur de la force, légitime ou pas, influe sur le religieux et parfois même en altère l’essence.

Sur la base de ce bref survol, on voit donc clairement que d’une part la République –État fort garantissant la liberté, l’égalité et la fraternité– et, d’autre part, la laïcité –régime garantissant la liberté de conscience et la liberté religieuse– sont toutes deux des garanties de la vie commune pacifique et en bonne intelligence loin des fantasmes de «libanisation» de la société française qu’un théoricien du déclin comme Zemmour peut parfois «prêcher» pour créer des peurs que j’estime totalement infondées au vu des divergences fortes entre ces deux sociétés telles que je les connais de l’intérieur si je puis dire

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